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Les média-architectures

11 Juin

« [L’architecture aujourd’hui] ne résoud plus des problèmes de construction, mais émet une pure énergie de communication urbaine, une pure imagination domestique. »

Andréa Branzi

Times Square, New York

Aujourd’hui de plus en plus de villes voient leur paysage urbain se constituer d’écrans gigantesques et de publicités illuminées. Les façades sont d’immenses supports de communication derrière lesquelles le bâtiment ne semble être qu’une « nécessité modeste ». Les nouvelles technologies viennent se greffer, s’entrelacer, s’implanter sur et à l’intérieur de ces façades. Ces dernières ne sont plus considérées que comme des constructions commerciales voire des attractions touristiques. Néanmoins de nombreux architectes et critiques s’intérogent sur la signification que ce type d’architecture pourrait prendre.

Ce type de média-façade masque, cache et désinforme, du point de vue de l’architecture. Elle tend à se constituer comme une enveloppe autonome qui a sa propre histoire à raconter et n’a plus de lien avec le bâtiment qu’elle protège. Ce phénomène provient d’une culture de la carrosserie. Le bâtiment serait constitué d’une partie intérieure et d’une enveloppe qui auraient chacune leurs propres règles, leurs propres structures et seraient totalement indépendantes l’une de l’autre. Rem Koolhaas utilise le terme de «lobotomie» pour expliquer cette dissociation entre architectures intérieures et extérieures. Alors que la façade « honnête » parle des fonctions qu’elle abrite, la façade aujourd’hui n’est plus en mesure de répondre à cette attente : l’expansion des bâtiments est devenue telle qu’il existe un trop grand écart entre le volume d’un bâtiment et la surface de sa façade. En dissimulant l’intérieur, et en supprimant cette transparence qui n’a plus ici de sens, la façade permet de dissimuler au monde extérieur l’éventuelle agitation des changements internes.

La conception est donc pensée d’une manière nouvelle. Il ne s’agit plus d’une composition de volumes, ni du rapport des matériaux entre eux, mais d’une question de surface, de pixels et de leds. Les volumes sont les plus simples possibles de manière à laisser à la façade le potentiel de s’exprimer pleinement. Le bâtiment s’inscrit dans une logique de «packaging». Le principe d’« Automonument » de Koolhaas, veut que dès qu’un bâtiment en vient à posséder des dimensions trop importantes, il devient un monument, quelles que soient les fonctions qu’il abrite. C’est précisément l’absence de symbolisme total de ces bâtiments génériques qui leurs permet de devenir des supports de communication. De par son volume, il ne peut être ignoré, mais il n’a rien à exprimer, il est vide et ouvert à toute signification, comme un panneau est disponible pour l’affichage. L’ornement n’est plus un crime, toutes ces constructions génériques, monumentales et vides de sens, deviennent des éponges absorbant informations, symboles, messages et les redistribuant aussitôt. Ainsi « La ville médiale », ou ville packaging, devient un enchevêtrement de panneaux, simulacres, affiches et enseignes.

Cependant selon Christoph Kronhagel, la média-façade n’est pas seulement un écran urbain, elle fait partie de l’architecture. Il ne s’agit pas de concevoir la peau extérieure d’un bâtiment, ou de la rendre plus dynamique, mais de lui conférer un rôle de « médium ». C’est l’ajout des nouvelles technologies qui lui permet de devenir une interface avec le monde virtuel.

Pour Hawthorne cette interface avec le virtuel crée un véritable environnement immersif en opposition à des objets monumentaux et muets. En effet, la « médiatecture » devient elle-même un médium, c’est-à-dire un intermédiaire entre le monde construit et la réalité physique d’un côté, et les mondes virtuels et imaginaires de l’autre. Pour Harald Singer, il s’agit donc d’un phénomène inédit, qui a vu le jour dès le passage au nouveau millénaire avec une nouvelle conception de la société beaucoup plus fragmentée et dynamique. De même, Hank Hauler, cite l’article « What is the architecture of the electronic age and how could it be described ? » de Toyo Ito, pour qui ce type d’architecture est une manière de lier les humains à l’environnement d’informations dans lequel ils sont aujourd’hui plongés. Cette architecture-média répond au défi d’aujourd’hui qui cherche à prolonger le corps humain d’appendices technologiques qui nous accompagnent comme une seconde nature et nous relient aussi au monde virtuel. Elle s’appuie non seulement sur toutes les technologies nécessaires pour être efficace dans la réception des informations, mais constitue une véritable interface sensible qui permet de communiquer et d’interagir avec l’homme.

« intelligent surface/sensitive skin »
http://www.fredericeyl.de/aperture/

« L’un des effets de la révolution industrielle a été d’engendrer deux vitesses de développement différentes entre la « culture » et la « réalité ». »

Andréa Branzi

« Il semblerait plutôt que soit en train d’apparaître une architecture « morte » – c’est à dire une structure culturelle qui a cessé d’être active -, mais qui est acceptée cependant comme l’une des conditions d’équilibre d’un héritage historique qu’on se contente d’utiliser froidement sans en débattre, comme répertoire d’instruments opératoires.»

Andréa Branzi

Penser la façade en intégrant technologies et médias dès la conception, permettrait de changer notre perception de l’espace urbain et de l’architecture à l’âge du digital. Il s’agit d’un moyen de mettre les êtres humains en réseaux directement par l’architecture, de maintenir leur rapport à l’environnement social. Ces architectures veulent créer du lien entres différentes réalités. Comme la société évolue trop vite par rapport à l’architecture, ce type de constructions, en ayant la possibilité de s’actualiser constamment, garde un lien avec le contexte social dans lequel elle se trouve. L’image fixe n’est plus en mesure de représenter et de communiquer avec la société contemporaine. En diffusant des images en mouvement, l’écran serait le moyen le plus adapté pour répondre au changement, à l’instantané et l’éphémère qui qualifie la société actuelle.

De la même manière, pour Christopher Hawthorne, tous ces panneaux ne signifient en aucun cas la fin ou le déclin de l’architecture. Il s’agit de l’expression d’une réalité actuelle, celle de notre éloignement progressif du monde physique vers celui du virtuel. Paradoxe pour l’architecture dont le domaine concerne le construit, cette idée d’immatérialité et de virtualité, aurait trouvé à travers les média-architectures un moyen de s’exprimer. Hawthorne, considère qu’un futur possible de l’architecture consisterait à quitter le domaine du statique et de l’immuable pour se réinventer constamment et redéfinir sans cesse le paysage. Pour lui, les technologies sont désormais intégrées au bâtiment de telle manière qu’elles en viennent à rendre floue la limite entre ornement ou structure. Si chez Loos l’ornement était à rejeter, c’est notamment car il tissait des liens avec le passé et plongeait le bâtiment dans une réalité qui n’était pas la sienne. Aujourd’hui, au contraire, les écrans digitaux pourraient rendre possible une continuité entre l’enveloppe et le monde dans lequel elle se trouve. L’écran deviendrait l’ornement ultime.

Le scénario extrême de cette situation qu’il évoque, serait une mise à jour constante de la ville. Lorsque tous les bâtiments auraient été recouverts de panneaux communicants, tous seraient dans la capacité de se transformer à tout instant, et plus aucun ne laisserait de trace dans l’histoire. Le concept de bâtiment historique serait amené à disparaître. Cette constante réactualisation de la ville signifierait également la perte de son identité et de son histoire.

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