Nous avons observer comment Branzi rejette toute forme de conditionnement de l’usager par l’architecture, cela implique donc une forme d’indétermination de l’architecture, quels sont alors les enjeux de la neutralité en architecture ? Cette indétermination nous avons pu l’observer à la fin des années 60 et au début des années 70. Les mouvements italiens d’avant garde de l’architecture radicale et contestataire Archizoom et Superstudio ont avancé de nouvelles méthodes de composition alternative. La proposition la plus célèbre de cette époque est Il monumento continuo (1969 – 1970) : modèle d’urbanisation totale, diverses images de murs continus qui s’intègrent dans différents environnements géographique sans jamais en recevoir des qualités qui les particularisent. Jacques Lucan les décrit comme Une architecture « sans architecte » qui évoque le land art, la monumentalité, mais neutre, silencieuse quant aux fonctions qu’elle pourrait être susceptible d’accueillir. Superstudio produit ensuite une autre série d’images Gli atti fondamentali (les actes fondamentaux, 1971 – 1972), sur une surface lisse, marquée par une trame carré qui semble s’étendre à l’infini, se déroulent des scènes de la vie quotidienne, des scènes domestiques, ordinaires et banales. Il n’y a aucune composition spatiale, l’espace de projet est un espace de fiction et cette iconographie démontre que c’est l’usager qui qualifiera son espace par le scénario qu’il devra développer pour répondre à ses besoins. Sans pour autant évoquer la disparition de l’architecture, nous sommes à même de nous interroger sur la manière de procéder pour faire place à la figure du possible, à la production de situation et d’événements.
Jacques Lucane émet l’hypothèse que le dispositif nécessaire à cette indétermination serait la grille. En effet, la grille, répondant à ses propres règles posée par son concepteur, serait un moyen d’échapper à tout contexte, et développer ainsi un champ de possible. La grille contourne le problème de l’équilibre, elle implique une répétition, elle fait s’éloigner les règles ou les procédures de composition auxquelles il n’est plus besoin ni nécessaire de se rapporter. Nous retrouvons également avec Koolhaas cette notion de répétition lorsqu’il étudiera la question du gratte-ciel, il soulignera ainsi la répétition du plan typique des étages qui implique la répétition et l’indétermination : pour être typique, il doit être suffisamment indéfini. Pour Koolhaas toujours, le plan typique est sans qualités, neutres « il est le degré zéro de l’architecture ». Il correspond à un programme de bâtiment de bureaux qui est « le premier programme totalement abstrait », c’est à dire un programme dont la seule fonction est de « laisser ses occupants exister ». Ayant appartenu au groupe Superstudio, il est normal de retrouver chez Koolhaas cette forme d’indéterminisme que l’on a perçut chez Archigram. S’appuyant alors sur l’hypothèse de Lucan croisée à la définition de plan type de Koolhaas, nous pouvons ainsi comprendre la grille comme premier dispositif de l’indétermination.
Cette radicalité que proposaient ces mouvements d’avant-garde italienne façonne des structures urbaines optimales, potentiellement infinies, où les fonctions se disposent spontanément sur un plan libre. Les deux groupes précédement cités se sont réunis autour d’une exposition itinérante en 1972 l’invenzione della superficie neutra, elle a été présentée comme opération de table rase par la création des environnements, les auteurs se proposent de développer et de représenter le thème d’un espace défini par des surfaces neutres, mieux même, neutralisées à tel point qu’elles ont coupé définitivement tout lien linguistique préexistant et conditionnant. Ce qui fait manifeste dans ce projet d’exposition c’est la radicalité de l’action de neutraliser. En effet, quelle place détient encore la composition si elle ne répond à aucune condition ?